Dès l’âge de 4 ans je me suis cru condamnée à mort

J’ai été élevée par une mère Témoin de Jéhovah et j’ai “claqué la porte” de cette organisation dès mon bac en poche à 19 ans (en partant pour la fac, loin de l’autorité parentale).
J’ai trouvé la volonté d’affronter les angoisses terribles suscitées par cette secte et aujourd’hui j’en ai fait une force qui m’a poussée à me réconcilier avec une autre image de Dieu (infinie d’Amour celle-là) et à rendre aux hommes ce Dieu que j’ai eu le courage de chercher pour survivre à un monstre qui aurait fini par me pousser au pire : un désespoir très grave avec une phobie de la mort de mes enfants et les conséquences qui auraient pu en découler (qui font de cette secte une secte dangereuse à mes yeux : laisser des personnes en position de faiblesse se “débrouiller” avec leur conscience et pire les rendre responsable de la condamnation de leurs enfants cela peut conduire au suicide et c’est extrêmement grave).

D’une certaine façon je n’ai pas eu le choix : il est impossible pour qui sort de cette secte de nier les ravages qu’elle a provoqués. C’est un refoulement dangereux qui ne résout pas les questions que la secte a soulevées en chacun de ceux qu’elle s’est “approprié”, car ce sont des questions essentielles, existentielles. Personnellement, dans un premier temps - qui a duré plusieurs années - je suis devenue athée, mais pour vraiment en sortir et démonter cette image profondément négative, et même carrément nocive que l’on m’a inculqué de “Dieu”, j’ai ressenti un besoin vital de Le chercher pour connaître de Lui un visage qui me permette enfin de Vivre à l’air libre, sans culpabilité (pour le sort futur réservé à mes enfants) ni sentiment de traîtrise. Au début, bien évidemment je n’étais pas très sûre de “Qui” j’allais trouver, mais j’étais prête à l’affronter, même s’Il se vérifiait tel que l’on me l’avait appris. Je me souviens avoir formulé cette prière : “Je te préviens, je veux savoir qui Tu es vraiment. Tu vas peut-être me punir de cette audace et me tuer, mais au fond de moi je me sens tranquille : si tu es un dieu digne de cet Auschwitz que tu promets à l’humanité, alors je suis prête à mourir avec mes enfants (de toute façon ce sera eux ET moi) plutôt que de te servir car ce chantage, je le refuse, je refuse de croire en ce Dieu-là qui se prétendrait Amour et qui n’est que sadique.”

Voilà comment je pensais environ huit ans après la sortie de cette secte. C’est vrai qu’ils actionnent des mécanismes psychologiques très sophistiqués parce qu’insidieux et même séduisants au départ, pour ceux qui ont une démarche de recherche spirituelle volontaire. L’adhésion à la secte est ressentie par l’adepte comme un engagement volontaire, une soumission qui est motivée par une adoration de dieu sans concession et qu’ils appellent “amour”, en somme une prise de responsabilité dans leur vie pour une cause juste au départ : une espérance de voir le mal éradiqué pour laisser place à un bonheur paradisiaque pour ceux qui “obéissent” aveuglément à Jéhovah. Il n’y a aucune place pour le doute ; tout ce qui conduit au doute étant considéré comme de source diabolique (ce dont il faut se garder comme de la peste). L’Organisation n’a donc que peu de peine à garder ses fidèles : elle leur apprend à dresser eux-même les barrières de leur propre prison Lorsque malgré tout, un déclic quelconque a provoqué le doute tant redouté par l’Organisation, se met alors naturellement en place une autre barrière (redoutable celle-là) conditionnée par tout ce que l’adepte a “appris” : celle d’une culpabilité terrible non seulement pour soi, mais qui va jusqu’aux membres de notre famille - conjoint, enfants - que notre “conduite” est sensée condamner à une mort certaine ! Il faut aussi assumer le sentiment d’avoir “trahi” une grande famille qui du reste ne se privera pas de vous signifier combien votre conduite est méprisable et, si vous persistez dans la “rébellion”, vous tournera carrément le dos comme si à ses yeux vous n’étiez plus que “déjà mort”, plus RIEN, tout juste une créature appartenant à “ce monde sous l’emprise du diable” : donc un “méchant”. De temps en temps tout de même, si vous êtes jugé “indigne” de Jéhovah, l’Organisation déploiera des trésors de séduction ou de sollicitude pour vous récupérer, mais il suffit que vous leur opposiez un “non” ferme (après quelques tentatives insistantes) pour qu’ils vous laissent soudain froidement sur un réconfortant: “C’est vous qui voyez... c’est votre conscience... vous prenez vos responsabilités pour tout ce qui pourra arriver à votre famille à cause de votre refus de Jéhovah”.

Cette première étape de séduction et d’engagement “volontaire”, je ne l’ai jamais connu, car lorsque ma mère a connu les Témoins je n’avais que deux ans et bien entendu, l’on ne m’a jamais demandé mon avis. D’aussi loin que je me souvienne, je ne me suis jamais sentie des leurs. Un fait a été déterminant et m’a sauvée de cette emprise Témoin de Jéhovah depuis le début : ma mère était en plein divorce d’avec mon père. Or j’avais pour mon père une admiration sans borne, lui qui était athée et que les Témoins ont bien entendu condamné et fait passer pour l’outil du Diable qu’il fallait “court-circuiter” dans ses rapports avec ma mère et avec nous (ma sœur et moi). Donc très tôt - peut-être dès l’âge de 4 ans - je me suis cru condamnée à mort pour cette loyauté mal placée et mal vue. Inconsciemment, ma mère a fait son deuil de moi. Très vite elle a perçu l’enfant rebelle et réfractaire que j’étais et je crois qu’elle n’avait aucune “espérance” en ce qui me concerne. Elle a toujours eu l’intuition plus ou moins avouée - et le temps qui passait ne faisait que le confirmer - que je ne deviendrais jamais Témoin de Jéhovah et que du point de vue de “Jéhovah” j’étais déjà morte. Ainsi j’étais l’enfant rebelle, celle “qui mordait le sein de sa mère”, celle sur qui l’on ne “se faisait pas d’illusion” et traitée comme telle. Je suis certaine que je ne me trompe pas : elle était souvent amère et dure à mon sujet tandis qu’elle reportait toute son affection sur ma sœur, qui elle ne la décevait pas alors que je n’étais que sujet de plaintes.

D’ailleurs je voudrais souligner ici l’hypocrisie formidable qui caractérise les Témoins de Jéhovah. Je n’ai jamais déçu personne puisque j’ai toujours été “en marge” de la secte par une attitude “peu chrétienne”. Aussi, je ne me suis jamais fait baptiser. Par contre, ma sœur était une “crème” à leurs yeux. Très douce, elle désobéissait peu, se montrait enfant témoin modèle. Elle ne se rebellait jamais, travaillait (en plus) bien à l’école. Très effacée, elle disait toujours oui pour ne blesser personne et faire plaisir (souvent à son propre détriment). Souvent j’entendais ce genre de réflexion : “Heureusement que Claude (ma mère) a Valérie...” Et de son côté ma sœur subissait : “Ma petite Valérie, heureusement que toi, au moins, tu n’es pas comme ta sœur... Tu es tout l’espoir et la joie de ta mère...”
Lourd héritage qu’ils lui mettaient là sur les épaules et qui s’est accentué lorsque j’ai quitté la secte, ne surprenant personne. Valérie est devenue toute la consolation de ma mère. Comme n’étant pas baptisée, je n’ai jamais été exclue, lorsque je revenais de temps en temps chez ma mère, les témoins de Jéhovah que je croisais chez elle me disaient bonjour, prenaient poliment de mes nouvelles, mis à part certains, des “purs et durs” qui ne se sont pas gênés pour me manifester un certain mépris. Mais bon, dans l’ensemble on continuait à m’adresser la parole Tandis que quand ma sœur, qu’ils prenaient pour un modèle en matière de spiritualité, s’est fait exclure quelques années plus tard (parce qu’ils l’ont littéralement poussée au baptême) ils l’ont traitée comme une renégate, l’ignorant, ne lui adressant plus un mot comme il se doit pour toute personne qui est exclue. Dire qu’ils “l’aimaient” tant et l’admiraient...

Je me souviens du baptême de ma sœur et c’est peut-être ce qui m’a le plus écœuré (précisément parce que cela touche ma sœur). Je savais qu’elle allait le prendre contre son gré car elle n’avait pas su résister la pression qui consistait à lui faire subir le poids de ma propre défection : elle était devenue celle qui ne pouvait pas décevoir là où moi j’étais coupable de trahison. Je suis donc allée à son baptême, bien que je n’aie plus rien à voir avec les Témoins de Jéhovah, parce que je savais qu’elle avait peur de craquer.
Elle n’avait pas la force, à l’époque de décevoir - de trahir - (c’est leur façon de juger) - ma mère et l’Organisation. Et cela lui pesait lourd sur la conscience. J’étais donc près d’elle, impuissante à agir pour elle (il fallait qu’elle fasse son cheminement pour arriver à assumer son rejet naissant de la secte), mais à lui offrir le simple soutien de ma présence qui avait compris qu’elle arriverait tôt ou tard à l’exclusion.
J’ai rarement été aussi écœurée envers cette secte qui, ce jour-là m’est apparue sous son jour le plus dévastateur : j’ai vu deux victimes à cette sinistre mascarade, deux victimes pour lesquelles j’ai vraiment eu le cœur serré ce jour-là : ma sœur, trop jeune pour refuser d’être manipulée, qui se prêtait à la simagrée d’un baptême voulu à sa place et ma mère transfigurée de bonheur et de fierté, loin de deviner le “cataclysme” qui allait sous peu lui retomber sur le coin de la figure, anéantissant d’un coup tous les “espoirs” que ma sœur lui avait toujours donnés. Ce jour-là j’ai pleuré de peine pour ma sœur culpabilisée jusqu’à la paralysie par sa liberté de pensée qui n’osait encore s’affirmer et pour ma mère qui allait souffrir comme elle n’avait jamais souffert. Bel exemple de manipulation mentale... et à quel prix !

C’est toujours comme cela que ça se passe chez les Témoins de Jéhovah : on fait peser chez une personne le poids de l’affectif tant qu’il y a une chance de la “garder”. Tant pis pour la casse. Arme redoutable chez des personnes qui se détachent de vous à une vitesse incroyable dès qu’ils sentent que vous leur avez échappé et qui n’est rien d’autre qu’une manipulation odieuse qui rend les personnes affectivement en position de “débiteurs” (j’ai d’ailleurs, il y a environ deux ans, appris par une amie qui étudiait avec les Témoins à l’époque, qu’au cours d’une assemblée on leur avait recommandé “de ne pas hésiter à lier des liens d’amitiés avec ceux qui commencent une étude de “la Bible””). Lorsque ma sœur a craqué - parce qu’elle a littéralement craqué - j’ai été accusée dans un premier temps de l’avoir poussée à trahir les Témoins de Jéhovah puis dans un second temps d’avoir couvert son attitude en ne “dévoilant” pas la “vérité” de sa conduite. J’ai encaissé toutes ces accusations parce que de toute façon je n’aurais jamais trahi ma sœur, leur manière d’avoir recours à la délation me faisant horreur. Et puis je ne suis pas sûre qu’ils avaient envie de savoir que j’avais fait tout ce que j’avais pu pour éviter ce choc terrible et cette peine à ma mère, c’était tellement plus acceptable pour elle que je sois la vraie coupable... Je disais à ma sœur : “Tiens jusqu’au bac. Ensuite tu partiras pour la fac, comme moi et tu seras plus libre de t’éloigner en douceur (autant que l’on puisse parler de “douceur” chez les témoins).” Mais Valérie n’a pas pu attendre jusqu’au bac. En cours d’année scolaire elle a pété les plombs : un jour elle a pris une crise de nerf en plein cours. L’assistante sociale du lycée l’a alors placée chez une amie de classe. Il y a eu jugement (donc tribunal) pour que ma sœur puisse bénéficier d’une majorité anticipée (elle avait 17 ans). Sale affaire qui a été une grosse épreuve pour ma mère.

A qui la faute ? Les témoins de Jéhovah ont condamné ma sœur. Ma mère a préféré m’en faire porter le poids à l’époque. Sûrement était-ce plus supportable pour elle. Ils ont une vérité implacable : ceux qui sortent de l’Organisation sont toujours coupables. Les traîtres se sont les autres.